Fondation du Dr Julien : Développement de trois centres de pédiatrie sociale dans les Laurentides

À l’automne 2016 le ministre Sébastien Proulx annonçait une injection de 20 millions de dollars sur 4 ans à la Fondation du Dr Julien pour développer des centres de pédiatrie sociale au Québec. Dans les Laurentides, trois lieux ont été ciblés pour la mise en place de ces centres : Lachute, Ste-Agathe et Mont-Laurier. De premier abord il est difficile de développer des arguments qui iraient à l’encontre de ces projets, le Dr Julien bénéficie d’une grande notoriété dans l’opinion publique et la cause des enfants qui vivent des situations très problématiques vient nous chercher au plus profond de notre humanité.

Nos échanges avec des organismes communautaires ainsi que d’autres informations recueillies soulèvent cependant différents enjeux liés à ces nouvelles ressources et nous sommes très préoccupés par  le développement d’un modèle de santé et services sociaux qui intègre de nouvelles structures encadrées par des fondations, particulièrement en contexte de coupures.

Une recherche commandée et financée par le gouvernement du Québec conclut que les centres de pédiatrie sociale contribuent à améliorer le bien-être socio-affectif des familles. Petit bémol cependant, seuls les parents ayant fréquenté les centres pendant une période d’un an sont considérés pour la recherche laissant ainsi dans l’ombre les raisons qui ont amené des parents à ne plus les fréquenter.

Les aspects positifs

Comme rapporté dans la recherche, les parents mentionnent particulièrement qu’ils ont trouvé au centre un bel accueil, une disponibilité et de l’écoute de la part d’un intervenant, un lieu où on peut se rendre à pied compte tenue de l’installation directement dans leur quartier, un lieu où on arrive sans rendez-vous et où il y a toujours de la nourriture, des dons de vêtements. Étant donné qu’un médecin fait des consultations sur place, des parents ont indiqué  bénéficier d’une plus grande facilité pour avoir un diagnostic et ainsi être référé pour des services plus spécialisés, en fait le corridor serait plus direct.

Les aspects négatifs ou enjeux soulevés

Dans les aspects plus négatifs rapportés dans la recherche, les parents indiquent que même si officiellement les enfants devraient être accueillis jusqu’à 14 ans, les services cessent souvent à 12 ans, certains mentionnent que plus le temps avance moins le centre accueille d’enfant et que les listes d’attente s’allongent. D’autres font aussi état de l’absence de services aux parents ainsi que du manque de personnel.

La recherche a fait ressortir que les centres de pédiatrie sociale ne travaille pas avec les organismes communautaires du milieu et qu’une situation de compétition peut s’installer dans un contexte de précarité des uns et des autres. Rappelons que les centres de pédiatrie sociale doivent aller chercher une grande part de leur financement dans la communauté.

Un enjeu tout aussi important soulevé dans la recherche est celui du prêt de services de professionnels par le réseau public. Quel impact, par exemple, cela aura-t-il pour les CLSC qui doivent déjà faire face à une perte de ressources dans un contexte de coupures budgétaires?

Nos questionnements et préoccupations

1- Un des aspects très appréciés rapportés par les parents est la proximité du centre alors qu’en sera-t-il en milieu rural? Les familles en difficulté n’auront pas plus les moyens de se déplacer au centre de pédiatrie sociale et on sait à quel point la question du transport est problématique dans notre région. Des personnes impliquées en milieu communautaire sur le territoire de Mont-Laurier où on veut implanter un centre nous ont expliqué que les familles en situation de pauvreté vont souvent demeurer dans des villages plus éloignés parce que les logements sont moins coûteux.

2- Selon nos informations, les centres de pédiatrie sociale n’ajouteraient pas vraiment de personnel sur le territoire. Une personne serait embauchée pour la direction mais les intervenants sont prêtés, par exemple un travailleur social du CLSC, un psychoéducateur de l’école, on vient donc selon nous affaiblir d’autres services du réseau public qui s’adressaient déjà à des personnes en difficulté. Un des principes pour la certification d’un centre par la Fondation du Dr Julien est d’agir “comme un mécanisme intégrateur entre les différents services offerts par les réseaux de la santé et des services sociaux, les services juridiques, les organismes communautaires et les services éducatifs (Centre de la petite enfance et école). “

3- Alors que le gouvernement injecte 20 millions pour les centres de pédiatrie sociale il ne consolide pas les organismes communautaires déjà implantés dans le milieu et qui font un travail remarquable. Pourtant ce sont eux qui ont créé des liens avec un grand nombre de personnes entre autres des familles et des enfants vivant des situations difficiles. Nous aurions été curieux que les fonds gouvernementaux accordés pour la recherche sur les centres de pédiatrie sociale (250 000$) le soit pour faire la démonstration des impacts positifs des organismes communautaires sur l’amélioration du bien-être des familles.

4- Nous avons appris que sur un des territoire il y avait déjà des médecins qui travaillaient avec une approche plus sociale auprès des enfants et que des collaborations étaient établies avec des organismes communautaires du milieu. Cela nous amène à questionner les processus décisionnels pour l’implantation d’une nouvelle structure sans prendre en considération tout le travail terrain et le développement de collaborations déjà existantes. Cela nous rappelle les interventions liées à la Fondation Chagnon, une fondation privée (voir note) qui ne partait pas des besoins et des modes de fonctionnement du milieu. À défaut de budget suffisant à la mission, des organismes communautaires ont développé des activités financées par cette fondation mais ils risquaient toujours de devoir y mettre fin selon la décision de la fondation de reconduire ou non le financement. Le temps de mettre en place les projets, de créer des liens avec les personnes, de contribuer à l’amélioration de leur situation, tout cela se retrouve en péril lorsque le financement n’est pas reconduit. Des organismes se demandent d’ailleurs si  des financements de la Fondation Chagnon seront récupérés par les centres de pédiatrie sociale.

5- Les centres de pédiatrie sociale doivent aller chercher une grande part de leur financement dans la communauté (50% la première année), nous savons à quel point il est difficile pour les organismes déjà en place d’aller chercher des fonds dans la communauté. La notoriété du Dr Julien et toute la place qu’on lui a fait dans les médias risque de compliquer davantage la tâche des organismes communautaires du milieu. N’oublions pas que le centre qui a eu de la visibilité dans les médias et qui a contribué à la popularité du Dr Julien est celui d’Hochelaga Maisonneuve, centre qui a été financé à raison d’un million de dollars en partie par Québec.

6- Une autre question fort préoccupante demeure pour nous: le gouvernement injecte des fonds pour des fondations et favorise leur     implication dans le réseau public mais d’un autre côté il procède à des coupures dans les services publics. On assiste actuellement à des transferts de travailleurs sociaux du CLSC dans des groupes de médecine familiale, la fermeture de l’accueil psychosocial des CLSC, les réductions drastiques de suivis pour des personnes en grande difficulté, la réduction de transports adaptés et de bains pour des personnes handicapées, etc.  Nous assistons au démantèlement voire à une mort lente des CLSC qui ont pourtant été mis en place pour constituer l’assise d’une première ligne publique en santé et services sociaux au Québec.  Même des enfants en difficulté se voit retirer l’aide de professionnels dans leur école. Quant aux organismes communautaires déjà implantés dans le milieu, ils demeurent depuis plusieurs années sous-financés pour leur mission. En soi, c’est une bonne nouvelle que des médecins développent une approche plus sociale et près de la communauté, c’était le modèle prévu à la création des CLSC, une première ligne solide, accessible, de proximité, dans une vision globale de la santé mais publique et malheureusement les associations de médecins ont refusé d’y prendre part.

Ce serait pour nous un recul  de compter pour nos services sur des fondations qui n’assureront pas de toute façon le financement requis pour le fonctionnement de la  structure mise en place. En effet, un autre des principes pour qu’un centre soit certifié consiste à «assurer sa pérennité dans le temps à travers la mobilisation active des entreprises et des acteurs locaux.» Tel qu’inscrit au référentiel de certification, : «Se préoccuper à long terme de la santé financière et organisationnelle d’un CPSC est aussi important que suivre la trajectoire de vie d’un enfant.»

Note: La Fondation Lucie et André Chagnon a été créée avec le transfert de 1,4 G$ provenant de la vente de Vidéotron à Quebecor Media en 2000. La création de l’organisme a permis aux Chagnon de sauver 1 G$ en impôt.

Références
Rapport de recherche : Regard mixte sur certaines particularités et retombées de l’approche de la pédiatrie sociale telle qu’implantée au Québec et sur son intégration dans le système actuel des services sociaux et de santé. Fonds de recherche société et culture, Gouvernement du Québec.

Fondation du Dr Julien, Référentiel de certification des centres de pédiatrie sociale en communauté (CPSC)

Le financement des organismes communautaires : une gymnastique de tous les jours

SONY DSC

17,5M$ : c’est l’écart qui existe entre les besoins des organismes des Laurentides et ce qu’ils reçoivent pour leur fonctionnement de base. «C’est ce que ça coûte pour ramasser une seule tempête de neige à Montréal!» lance Linda Déry, coordonnatrice du Regroupement des organismes communautaires des Laurentides (ROCL).

Il faut mettre fin au #grandécart

Environ 120 personnes issues d’organismes communautaires réunies à Saint-Thérèse, Piedmont et Mont-Laurier ont illustré leurs réalités et objectifs à l’aide de l’image d’un thermomètre, si souvent utilisé lors des campagnes de levées de fonds. Chacun des organismes présents a fait l’exercice d’inscrire sur une affiche l’écart entre ses besoins et leur montant reçu en subvention. La plupart ne sont que partiellement financés. Certains ne reçoivent rien, bien que leur existence soient officiellement reconnus depuis plusieurs années. « Les groupes doivent souvent faire le grand écart afin de joindre les deux bouts. Certains se résignent à faire des mises à pied économiques, alors que d’autres doivent réduire leurs activités. Avec cette constante et intenable gymnastique entre les besoins de plus en plus nombreux de la population et le test de la réalité budgétaire, c’est toute la santé organisationnelle des organismes qui est menacée et au final c’est la population qui en souffre» d’ajouter madame Déry.

SONY DSC

Passer de la parole aux actes

À deux reprises, l’ensemble de la députation québécoise a adopté une motion unanime visant à rehausser le financement à la mission des organismes communautaires. «Tous les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale se sont entendus là-dessus. Une première fois en 2013 et une deuxième fois cet automne. C’est un pas dans la bonne direction » expose la porte parole du ROCL avant de rappeler qu’au moins 35 organismes admis au programme de soutien des organismes communautaires n’ont pas encore atteint 50 % de leur budget de base requis et que 5 d’entre eux ne reçoivent rien. Certains attendent depuis plus de 10 ans. « C’est inimaginable ce que les organismes communautaires des Laurentides pourraient faire de mieux et de plus avec 17,5M$. Au moment de prendre des décisions pour le prochain budget, nous voulons maintenant que le gouvernement passe de la parole aux actes et demandons aux députés de la région d’en faire un suivi » conclut madame Déry.

SONY DSC