Gymnastique financière des organismes: la TVBL s’y intéresse
Stéphanie Gaussirand, présidente du ROCL, était de passage à l’émission Fraîchement Pressé de la TV Basses-Laurentides le 9 mars dernier. Voyez son entrevue à 4m20sec.
Stéphanie Gaussirand, présidente du ROCL, était de passage à l’émission Fraîchement Pressé de la TV Basses-Laurentides le 9 mars dernier. Voyez son entrevue à 4m20sec.
Saint-Jérôme, 27 mars 2017. Au sortir d’une journée régionale de formation-réflexion dont le thème était « réussir nos collaborations, défis et enjeux dans le contexte actuel» les quelques 90 participantes ont fait des constats assez désolants.
Après avoir fait le petite histoire du contexte de nos collaborations avec le réseau de la santé et des services sociaux depuis les 15 dernières années, la grande majorité des organismes communautaires présents à la rencontre en viennent à cette conclusion : la réforme Barette et sa nouvelle gestion du réseau affecte énormément leurs rapports de collaboration.
Les participantes ont d’abord partagé les impacts de la dernière réforme du réseau sur les organismes communautaires et sur la population. Ces impacts avaient été soulevés par les organismes lors de la tournée du ROCL en février dernier. On se rend compte qu’actuellement le réseau est désorganisé, qu’il y a une perte et une diminution des services publics et cela a un impact majeur sur les organismes communautaires et sur la population qui les fréquente. «Par exemple, on assiste à toutes sortes de références qui arrivent dans les organismes, alors que, bien souvent, les besoins des personnes ne sont pas en lien avec la mission et services des organismes ou que ceux-ci sont trop importants pour que nous soyons en mesure d’apporter une aide adéquate. Comment parler de collaboration dans ces conditions là, alors qu’il n’y a plus de réciprocité avec le réseau ?» lance Stéphanie Gaussirand, présidente du ROCL.
Lors de cette journée de formation les organismes ont revisité et réaffirmé les principes directeurs qui doivent guider leurs rapports de collaboration. On parle ici de respect des mandats, des responsabilités, des approches de chacun des partenaires, de respect de l’autonomie, du partage des enjeux mutuels, de la transparence dans les communications et les processus de consultation, du rapport libre et volontaire des personnes qui fréquentent l’organisme et du droit de réserve des organismes pour accepter ou non une référence.
«Tant et aussi longtemps que ces principes ne seront pas respectés on ne pourra pas parler de réelle collaboration, en fait, le constat que l’on a fait collectivement c’est qu’à l’heure actuelle on sent plutôt une hiérarchisation des rapports, une utilisation des organismes pour compenser les coupures de services dans le réseau public. On a l’impression que les gestionnaires du réseau considèrent que les organismes communautaires sont à leur service. Nous sommes très loin de vivre nos beaux principes négociés depuis 2004 avec le réseau de la santé et des services sociaux. Et ça et bien il faudra s’en occuper, parce que si les organismes ne s’en occupent pas, ils seront instrumentalisés et, faut-il le rappeler, notre financement à la mission ne sert pas à remplacer les services publics. Il sert plutôt à créer des liens, à offrir des espaces citoyens pour reprendre du pouvoir, à offrir des activités et services différents et à défendre les droits des personnes !» de conclure Linda Déry, coordonnatrice du ROCL
À l’automne 2016 le ministre Sébastien Proulx annonçait une injection de 20 millions de dollars sur 4 ans à la Fondation du Dr Julien pour développer des centres de pédiatrie sociale au Québec. Dans les Laurentides, trois lieux ont été ciblés pour la mise en place de ces centres : Lachute, Ste-Agathe et Mont-Laurier. De premier abord il est difficile de développer des arguments qui iraient à l’encontre de ces projets, le Dr Julien bénéficie d’une grande notoriété dans l’opinion publique et la cause des enfants qui vivent des situations très problématiques vient nous chercher au plus profond de notre humanité.
Nos échanges avec des organismes communautaires ainsi que d’autres informations recueillies soulèvent cependant différents enjeux liés à ces nouvelles ressources et nous sommes très préoccupés par le développement d’un modèle de santé et services sociaux qui intègre de nouvelles structures encadrées par des fondations, particulièrement en contexte de coupures.
Une recherche commandée et financée par le gouvernement du Québec conclut que les centres de pédiatrie sociale contribuent à améliorer le bien-être socio-affectif des familles. Petit bémol cependant, seuls les parents ayant fréquenté les centres pendant une période d’un an sont considérés pour la recherche laissant ainsi dans l’ombre les raisons qui ont amené des parents à ne plus les fréquenter.
Les aspects positifs
Comme rapporté dans la recherche, les parents mentionnent particulièrement qu’ils ont trouvé au centre un bel accueil, une disponibilité et de l’écoute de la part d’un intervenant, un lieu où on peut se rendre à pied compte tenue de l’installation directement dans leur quartier, un lieu où on arrive sans rendez-vous et où il y a toujours de la nourriture, des dons de vêtements. Étant donné qu’un médecin fait des consultations sur place, des parents ont indiqué bénéficier d’une plus grande facilité pour avoir un diagnostic et ainsi être référé pour des services plus spécialisés, en fait le corridor serait plus direct.
Les aspects négatifs ou enjeux soulevés
Dans les aspects plus négatifs rapportés dans la recherche, les parents indiquent que même si officiellement les enfants devraient être accueillis jusqu’à 14 ans, les services cessent souvent à 12 ans, certains mentionnent que plus le temps avance moins le centre accueille d’enfant et que les listes d’attente s’allongent. D’autres font aussi état de l’absence de services aux parents ainsi que du manque de personnel.
La recherche a fait ressortir que les centres de pédiatrie sociale ne travaille pas avec les organismes communautaires du milieu et qu’une situation de compétition peut s’installer dans un contexte de précarité des uns et des autres. Rappelons que les centres de pédiatrie sociale doivent aller chercher une grande part de leur financement dans la communauté.
Un enjeu tout aussi important soulevé dans la recherche est celui du prêt de services de professionnels par le réseau public. Quel impact, par exemple, cela aura-t-il pour les CLSC qui doivent déjà faire face à une perte de ressources dans un contexte de coupures budgétaires?
Nos questionnements et préoccupations
1- Un des aspects très appréciés rapportés par les parents est la proximité du centre alors qu’en sera-t-il en milieu rural? Les familles en difficulté n’auront pas plus les moyens de se déplacer au centre de pédiatrie sociale et on sait à quel point la question du transport est problématique dans notre région. Des personnes impliquées en milieu communautaire sur le territoire de Mont-Laurier où on veut implanter un centre nous ont expliqué que les familles en situation de pauvreté vont souvent demeurer dans des villages plus éloignés parce que les logements sont moins coûteux.
2- Selon nos informations, les centres de pédiatrie sociale n’ajouteraient pas vraiment de personnel sur le territoire. Une personne serait embauchée pour la direction mais les intervenants sont prêtés, par exemple un travailleur social du CLSC, un psychoéducateur de l’école, on vient donc selon nous affaiblir d’autres services du réseau public qui s’adressaient déjà à des personnes en difficulté. Un des principes pour la certification d’un centre par la Fondation du Dr Julien est d’agir “comme un mécanisme intégrateur entre les différents services offerts par les réseaux de la santé et des services sociaux, les services juridiques, les organismes communautaires et les services éducatifs (Centre de la petite enfance et école). “
3- Alors que le gouvernement injecte 20 millions pour les centres de pédiatrie sociale il ne consolide pas les organismes communautaires déjà implantés dans le milieu et qui font un travail remarquable. Pourtant ce sont eux qui ont créé des liens avec un grand nombre de personnes entre autres des familles et des enfants vivant des situations difficiles. Nous aurions été curieux que les fonds gouvernementaux accordés pour la recherche sur les centres de pédiatrie sociale (250 000$) le soit pour faire la démonstration des impacts positifs des organismes communautaires sur l’amélioration du bien-être des familles.
4- Nous avons appris que sur un des territoire il y avait déjà des médecins qui travaillaient avec une approche plus sociale auprès des enfants et que des collaborations étaient établies avec des organismes communautaires du milieu. Cela nous amène à questionner les processus décisionnels pour l’implantation d’une nouvelle structure sans prendre en considération tout le travail terrain et le développement de collaborations déjà existantes. Cela nous rappelle les interventions liées à la Fondation Chagnon, une fondation privée (voir note) qui ne partait pas des besoins et des modes de fonctionnement du milieu. À défaut de budget suffisant à la mission, des organismes communautaires ont développé des activités financées par cette fondation mais ils risquaient toujours de devoir y mettre fin selon la décision de la fondation de reconduire ou non le financement. Le temps de mettre en place les projets, de créer des liens avec les personnes, de contribuer à l’amélioration de leur situation, tout cela se retrouve en péril lorsque le financement n’est pas reconduit. Des organismes se demandent d’ailleurs si des financements de la Fondation Chagnon seront récupérés par les centres de pédiatrie sociale.
5- Les centres de pédiatrie sociale doivent aller chercher une grande part de leur financement dans la communauté (50% la première année), nous savons à quel point il est difficile pour les organismes déjà en place d’aller chercher des fonds dans la communauté. La notoriété du Dr Julien et toute la place qu’on lui a fait dans les médias risque de compliquer davantage la tâche des organismes communautaires du milieu. N’oublions pas que le centre qui a eu de la visibilité dans les médias et qui a contribué à la popularité du Dr Julien est celui d’Hochelaga Maisonneuve, centre qui a été financé à raison d’un million de dollars en partie par Québec.
6- Une autre question fort préoccupante demeure pour nous: le gouvernement injecte des fonds pour des fondations et favorise leur implication dans le réseau public mais d’un autre côté il procède à des coupures dans les services publics. On assiste actuellement à des transferts de travailleurs sociaux du CLSC dans des groupes de médecine familiale, la fermeture de l’accueil psychosocial des CLSC, les réductions drastiques de suivis pour des personnes en grande difficulté, la réduction de transports adaptés et de bains pour des personnes handicapées, etc. Nous assistons au démantèlement voire à une mort lente des CLSC qui ont pourtant été mis en place pour constituer l’assise d’une première ligne publique en santé et services sociaux au Québec. Même des enfants en difficulté se voit retirer l’aide de professionnels dans leur école. Quant aux organismes communautaires déjà implantés dans le milieu, ils demeurent depuis plusieurs années sous-financés pour leur mission. En soi, c’est une bonne nouvelle que des médecins développent une approche plus sociale et près de la communauté, c’était le modèle prévu à la création des CLSC, une première ligne solide, accessible, de proximité, dans une vision globale de la santé mais publique et malheureusement les associations de médecins ont refusé d’y prendre part.
Ce serait pour nous un recul de compter pour nos services sur des fondations qui n’assureront pas de toute façon le financement requis pour le fonctionnement de la structure mise en place. En effet, un autre des principes pour qu’un centre soit certifié consiste à «assurer sa pérennité dans le temps à travers la mobilisation active des entreprises et des acteurs locaux.» Tel qu’inscrit au référentiel de certification, : «Se préoccuper à long terme de la santé financière et organisationnelle d’un CPSC est aussi important que suivre la trajectoire de vie d’un enfant.»
Note: La Fondation Lucie et André Chagnon a été créée avec le transfert de 1,4 G$ provenant de la vente de Vidéotron à Quebecor Media en 2000. La création de l’organisme a permis aux Chagnon de sauver 1 G$ en impôt.
Références
Rapport de recherche : Regard mixte sur certaines particularités et retombées de l’approche de la pédiatrie sociale telle qu’implantée au Québec et sur son intégration dans le système actuel des services sociaux et de santé. Fonds de recherche société et culture, Gouvernement du Québec.
Fondation du Dr Julien, Référentiel de certification des centres de pédiatrie sociale en communauté (CPSC)
En cette semaine de visibilité de l’action communautaire autonome, le gouvernement ne voit toujours pas les besoins criants de la population et des organismes communautaires autonomes selon le Regroupement des organismes communautaires des Laurentides (ROCL).
«Alors que depuis 2014 le gouvernement libéral a coupé, comprimé, compressé, réduit, les services publics et les programmes sociaux de 4 milliards, nous voilà maintenant avec des surplus de 2,2 milliards! Tout d’un coup on nous parle de réinvestissement sur 2 ans, comme par hasard… Y croyez-vous» s’insurge Linda Déry, coordonnatrice du ROCL.
«Cela donne vraiment l’impression d’être une opération de reconfiguration cosmétique. Ce n’est pas avec les 300M$ annoncés en santé et les 100M$ en éducation que nous allons sortir du déficit social créé par des coupes de 4 milliards. C’est comme si on vous avait arraché un bras et que l’on vous redonne un doigt! C’est une farce, un écran de fumée» renchérit-elle. «À eux seuls les besoins financiers des 4000 organismes communautaires du Québec s’élèvent à 350M$. Les annonces du Ministre Leitao ne vont en rien stopper l’hémorragie dans les services publics. Il s’agit tout au plus d’une campagne de séduction d’un gouvernement qui pense à se faire réélire. Pourtant les impacts de toutes les mesures d’austérité sont loin d’être terminés et continueront à se vivre sur le terrain, et ce, bien au-delà des élections de 2018 si rien ne change» lance-t-elle.
«L’appauvrissement, la détresse psychologique, l’endettement , la violence, le décrochage scolaire, l’itinérance, les crises suicidaires, des parents dépassés, des enfants dans le besoin, des aînées démunies, des droits bafoués, des problèmes de santé mentale sont de plus en plus présents dans le vécu quotidien des organismes communautaires. Ils n’en peuvent plus d’être le déversoir d’un système de santé et d’éducation en chute libre qui manque cruellement de moyens et de ressources» conclut Stéphanie Gaussirand, présidente. #SNVACA
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